
La Mini-Fastnet est une course emblématique du circuit Mini 6,50. Créée en 1981, cette régate est devenue un rendez-vous incontournable chaque année pour les ministes. Elle se déroule traditionnellement en juin et sont parcours initial de la Mini-Fastnet consiste à partir de Douarnenez, en Bretagne, à traverser la Manche, puis la mer celtique pour aller contourner le célèbre phare du Fastnet au large de l'Irlande, avant de revenir à Douarnenez. Cette épreuve se cours en double, c'est-à-dire à deux par bateau, et met à l'épreuve les compétences de navigation, la résilience et l'esprit d'équipe des participants.
Pour cette édition j'ai proposé à Romain Bouillard d'être mon co-skipper. Romain est un ami qui s'entraîne également au Centre Excellence Voile de La Rochelle mais qui participe au circuit de la solitaire du Figaro. Il venait justement de terminer deuxième de la Allmer Cup au Havre et, bien que fatigué, il était remonté à bloc pour notre course.
Modification du parcours pour l'édition 2024
Pour l'édition 2024, les conditions météorologiques ont contraint les organisateurs à modifier le parcours initial. Un fort coup de vent était prévu en mer Celtique et en Manche, avec des vents de face de plus de 30 nœuds et une mer très formée. Ces conditions représentaient un risque important pour nos petits bateaux et la sécurité des marins. En conséquence, le parcours a été modifié pour éviter ces zones dangereuses. Au lieu de se diriger vers le Fastnet, les concurrents ont été envoyés vers le Sud, en direction de l'embouchure de la Gironde, pour faire le tour de la bouée BXA avant de remonter vers Douarnenez. Ce nouveau parcours, bien que différent, a offert son lot de défis et d'aventures.
Descente vers la bouée BXA et première option stratégique.
La veille du départ, le 8 juin, nous avons validé les derniers détails du contrôle de sécurité, une étape cruciale pour obtenir l'autorisation de prendre le départ. Ce contrôle inclut la vérification des équipements de sécurité à bord : système de récupération d'homme à la mer, mouillage, gilets de sauvetage, balises de détresse, radeau de survie, rations de survie, fumigènes de détresse, flashlight de repérage, cartes marines, et bien plus encore. Un oubli ou un détail de travers pouvait compromettre notre participation.
Le départ a été donné le 9 juin à 15h, sous un ciel clément. Les 85 concurrents, dont nous faisions partie, avons pris la mer, direction le Raz de Sein, premier point de passage. Le passage de la pointe du Raz a été facilitée par un timing parfait par rapport à la marée, la flotte s'est donc dégagée très rapidement de la pointe bretonne avant t'entamer notre route vers le Sud.
Dès le début de la soirée, nous avons dû faire un premier choix tactique crucial. Nous avons décidé de privilégier le côté Est du parcours, anticipant une bascule de vent future. Cette décision nous a éloignés de la flotte principale, mais nous avons maintenu notre cap, espérant que notre stratégie porterait ses fruits. La première nuit s'est déroulée sans encombre, mais au petit matin, nous avons commencé à douter de notre option stratégique. La bascule de vent attendue n'est finalement pas arrivée, et notre option s'est avérée perdante. Cette décision nous a menés devant Les Sables d'Olonne dans une zone de vent un peu plus faible avec peu de possibilités de refaire notre retard sur le reste de la descente.
Nous avons finalement atteint la bouée BXA dans la soirée, en 18ème position, marquant la fin de la première partie de la course.
Longue remontée au large du golfe de Gascogne.
Après avoir contourné la bouée BXA, nous avons mis le cap vers un point virtuel situé à 45° de latitude Nord et 4° de longitude Ouest, très au large du littoral Aquitain, au-delà de la limite du plateau continental. La nuit tombait doucement, et nous savions que ce bord consisterait en un grand tout droit, plus ou moins travers au vent. La subtilité résidait dans notre capacité à être réactifs dès que l'angle par rapport au vent s'ouvrirait un peu plus, nous permettant alors de hisser le Gennacker pour faire accélérer le bateau.
Ce que nous n'avions pas anticipé était la présence de gros nuages très difficiles à discerner dans la nuit noire qui nous entouraient. La lune était bien cachée, et sous ces nuages sombres et étendus, le vent tombait complètement tout en tournant de plusieurs degrés. Après la course, certains concurrents ont mentionné être passés plus facilement en restant un peu au-dessus de la route directe tandis que d'autres, comme nous, ont glissé plutôt par en-dessous. Ceux qui ont eu la chance de moins passer sous ces satanés nuages ont fait l'écart.
La première moitié de la journée du mardi s'est déroulée sur ce bord, dans la matinée le vent s'est renforcé et a tourné un peu plus dans l'Ouest, un peu plus derrière nous. Nous avons décidé de faire un changement de voile et d'envoyer le petit Spi qui peut se porter à une allure plus serrée au vent que le grand Spi et qui est plus efficace que le Gennacker quand l'angle au vent s'ouvre au-delà de 120°. Finalement, nous étions vraiment à cheval entre les deux voiles, sur la limite du « range » (plage d'utilisation) de l'une et de l'autre. Le vent se renforçant un peu, le petit Spi ne s'est finalement pas montré optimum, mais une nouvelle manoeuvre de changement de voile nous aurait coûté plus que de le conserver.
Nous avons donc continuer car bien qu'étant contraints de naviguer un tout petit peu en-dessous de la route, les vitesses étaient élevées. Si bien que dans un surf, le compteur s'est affolé, montant de 12 à 16, puis 17 nœuds. Avec Romain, nous avons échangé un regard, sans parler, et attendu la prochaine vague. Nouveau surf et ça recommence : 17, 19, et là plus de 22 nœuds ! 22 nœuds ! Ni Romain ni moi n'étions allés aussi vite de notre vie en bateau à voile. Ce pic de vitesse nous a tout de même semblé suspect, il est possible que les instruments aient fait une erreur de relevé.
Le passage de la marque virtuelle marquait le début du chemin retour. L'axe du parcours était simple, plein Nord, au près. Nous avons entamé cette remontée au vent sur laquelle nous savions que nous serions en déficit de vitesse par rapport à certains concurrents. L'important était de limiter les dégâts et de perdre le moins de places possible.
La météo avant le départ nous annonçait une bascule du vent sur la gauche du parcours qu'il fallait aller chercher le lendemain. D'ici là, le but du jeu était de suivre les oscillations du vent autour du 0° (axe Nord) pour virer au bon moment. Cette longue partie de la course (une trentaine d'heures estimées par les routages) était propice à un peu de repos chacun notre tour. Nous avons pu faire des quarts plus longs avec des siestes d'environ 1h30 (ce qui est impensable en solitaire).
Au-delà de la limite du plateau continental, la profondeur de la mer est beaucoup plus importante que sur le littoral et cela donne une couleur à l'eau d'un bleu incroyable. Un bleu si profond qu'il transmet une sensation d'infini. Un grand soleil nous accompagnait et j'ai profité de cet après-midi pour contempler cette couleur dont il est impossible de se lasser. Comme souvent, les dauphins nous ont rejoints pour faire une partie du trajet avec nous.
Le jour suivant le vent mollissant au petit matin annonçait l'arrivée de la bascule. Un dernier virement de bord et direction l'archipel des Glénans au sud duquel nous devions passer. Le vent était faible et la mer plate, grand soleil et retour des dauphins que nous pouvions entendre siffler à travers la coque, depuis l'intérieur du bateau. Magique ! Toute la journée, le vent est resté très faible pour finir par nous abandonner complètement un peu après 3 heures du matin, juste le temps de franchir la marque des Glénans et c'était terminé, calme plat et plus un souffle d'air jusqu'au levé du jour.
La Tempête et l'avarie
Le vent commençait à revenir, annonçant l'arrivée de la dépression prévue. La mer, jusqu'alors calme, formée petit à petit et le ciel s'est assombri. Nous savions que cette partie de la course serait la plus difficile, mais nous étions déterminés à affronter les éléments.
En milieu de matinée, nous étions en plein dans la dépression, ciel gris, pluie forte, visibilité très réduite, mer formée et vent à 22-23 nœuds établis et plus de 25 dans les rafales. Il était temps de réduire la grand-voile. Alors que nous nous apprêtions à effectuer cette manœuvre, un énorme bruit a retenti. La tension s'est soudainement ramollie dans le Gennacker, et nous avons immédiatement compris que quelque chose avait cédé. L'une des bastaques, les câbles qui permettent de tendre le mât vers l'arrière et qui , dans les conditions du moment, étaient essentielles pour maintenir le mât, avait lâché. Plus exactement c'est le cordage qui permet de prendre de la tension qui avait cassé, libérant toute la charge comme si on avait ouvert le taquet coinceur en grand.
Mais le problème majeur s'est trouvé ailleurs, car après avoir repris le cordage nous nous sommes rendu compte que dans la violence du choc l'une des barres de flèche s'était pliée en deux. Les barres de flèche sont ces barres qui s'écartent de part et d'autre du mât et au bout desquelles passent les câbles qui tiennent le mât sur les côté. C'est un élément encore plus essentiel dans la structure du mât que les bastaques.
Nous comprenons alors que la situation était critique et que c'était un miracle que le mât soit encore debout en un seul morceau ! Très vite, nous avons été d'accord avec Romain : pas question d'abandonner, il restait deux marques de parcours à passer, seulement quelques heures de course, nous y étions presque et j'avais besoin des milles parcourus pour la qualification à la Mini Transat 2025.
Le vent continuait de monter, nous étions de plus en plus dans le cœur de la dépression, il fallait donc agir rapidement. J'ai alors repris de la tension dans tous les câbles qui tiennent le mât et ai utilisé des drisses pour doubler et sécuriser ces tensions. La question se posait de savoir s'il fallait réduire notre voilure. Là aussi, nous étions d'accord avec Romain, le mât tenait tel quel, réduire la taille de la grand-voile risquait de créer un point d'effort plus bas dans le mât, près de la zone où il n'y avait plus de barre de flèche.
Il nous restait une dernière manoeuvre à faire pour changer d'amure (de côté par rapport au vent) au niveau de la marque de parcours suivante. L'important était alors de se coordonner pour faire passer les tensions au bon moment d'un coté à l'autre. Être à deux dans cette situation rendait les choses beaucoup moins compliquées. Une fois la manoeuvre effectuée, les efforts dans le gréement s'appliquaient du bon côté et nous étions un peu plus rassuré.
Mais le vent n'en finissait plus de monter pour atteindre alors plus de 30 nœuds dans les rafales. Je ne quittais pas le mât des yeux.
Le dernier bord de près avec des rafales à plus 35 noeuds nous paru interminable et était très inconfortable avec le bateau très gîté et sous une pluie battante. Toujours attentif au mât mais celui-ci ne bougeait pas d'un millimètre. Au bout d'une heure et demie, nous avons passé la dernière bouée et sommes rentrés dans la baie de Douarnenez. Enfin ! La mer se calmait et le vent également au fur et à mesure que nous progressions dans la baie.
La ligne d'arrivée était en vue et nous l'avons franchie, avec le mât bien debout, aux alentours de quinze heures, après 3 jours, 23 heures et 33 minutes de course pour près de 600 milles parcourus.
La bonne entente entre Romain et moi nous a permis de passer une très bonne course, malgré notre mauvais coup stratégique et l'avarie de la fin. Nous avons beaucoup rigolé de notre situation et même encore dans la tempête avec cette barre de flèche qui ressemblait plus à une aile de mouette qu'autre chose. Nous avons très bien géré la situation pour éviter le suraccident et mis à part le classement je retiendrai beaucoup de positif de cette course qui fut une leçon de résilience et de détermination.









